Le Professeur Frédéric VENAIL, médecin Oto-Rhino-Laryngologiste (ORL), chef de service otologie au CHU GUI DE CHAULIAC à Montpellier, nous a fait l’honneur de prendre le temps de répondre à une brève interview. Nous avons souhaité échanger avec le Pr. VENAIL sur divers aspects, notamment son parcours professionnel, sa pratique en tant qu'ORL et enseignant-chercheur, ainsi que sa vision du métier. En outre, nous avons orienté nos questions vers des aspects moins conventionnels pour un médecin, en abordant des sujets relatifs au marché : sa perception du marché, ses opinions sur la désertification médicale, les défis futurs et les solutions envisageables.

Frédéric Venail, professeur ORL impliqué dans le domaine de l'audition

Thibault : Bonjour Pr. VENAIL. Pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter et retracer votre parcours?

Frédéric : Médecin ORL et chercheur à l’INSERM, à l’institut des neurosciences de Montpellier : J'ai réalisé mes études et mon internat à Montpellier. Ensuite, j'ai eu l'opportunité d'effectuer des stages en France, notamment à Marseille, ainsi qu'à l'étranger, aux États-Unis, dans l'Iowa, pour me spécialiser dans le domaine de l'implant cochléaire et des surdités génétiques. Aujourd’hui, je travaille au CHU de Montpellier au sein de l'équipe otologie. Mon domaine d'expertise englobe les pathologies de l'audition et de l'équilibre, et notamment le domaine des implants auditifs. En parallèle, dans le domaine de la recherche, je suis affilié à l'institut des neurosciences de Montpellier où je me concentre sur la chirurgie robotique, la prévention de la fibrose après implantation cochléaire, ainsi que sur les thérapies innovantes pour les pathologies de l'audition.

Thibault : Pourquoi avoir choisi la spécialité ORL pendant vos études de médecine?

Frédéric : L’ORL est une spécialité qui m’a vraiment passionné, car elle allie la médecine et la chirurgie. Elle offre la possibilité d'aborder les aspects diagnostiques grâce à l'approche médicale, tout en permettant d'aller jusqu'au traitement complet, y compris la chirurgie lorsque nécessaire. Cela offre une vision globale et exhaustive de la prise en charge des patients, du diagnostic à la guérison. Ce qui me plaît également dans cette spécialité, c'est sa grande diversité. En effet, en tant qu'ORL, nous traitons une multitude de problématiques, qu'il s'agisse de troubles de l'audition, de la voix, de pathologies cancéreuses, de problèmes de nez ou de vertiges. C'est une spécialité riche qui offre de nombreuses perspectives aux médecins.

`Thibault : Qu'est-ce qui vous passionne le plus dans votre profession?

Frédéric : Ce qui me passionne, c'est la possibilité de combiner les aspects diagnostiques et thérapeutiques de la prise en charge des patients avec la recherche. Cela me permet d'explorer de nouvelles perspectives pour offrir des solutions innovantes aux patients. Je trouve essentiel de rester connecté à la réalité clinique tout en étant engagé dans une démarche d'innovation.

Projets de recherche en cours par le Pr. Venail et ses équipes

Thibault : Vous êtes très impliqué dans la recherche. Comment cela se déroule-t-il? Êtes-vous à l'origine des projets de recherche? Avez-vous des objectifs en termes de publications annuelles? Quels sont les financements disponibles pour soutenir vos travaux?

Frédéric : En tant que médecin hospitalo-universitaire, je suis activement impliqué dans de nombreux projets de recherche, qu'ils soient cliniques et axés sur les besoins des patients, ou plus fondamentaux, visant à élucider les mécanismes sous-jacents des surdités, ou les mécanismes inflammatoires après le mise en place d’un implant cochléaire par exemple. En ce qui concerne les publications, il n'y a pas de quota annuel fixe. Elles émergent au fil de l'avancement des projets de recherche et sont souvent tributaires des possibilités de financement. En France, les financements publics de la recherche sont limités, ce qui nous amène souvent à solliciter des fondations ou des entreprises pour soutenir nos projets et ainsi garantir la qualité de nos travaux de recherche.

Thibault : Pourriez-vous nous parler des études en cours et de leur importance?

Frédéric : Au niveau clinique, nous menons plusieurs études au CHU, dont plusieurs se concentrent sur l'implant cochléaire. Par exemple, nous examinons actuellement les mécanismes inflammatoires post-implantation et leur éventuel impact sur une éventuelle perte d'audition résiduelle, c'est-à-dire l'audition naturelle restante après l'implantation. Nous travaillons également sur l'amélioration de l'interface homme-machine afin d'optimiser la communication entre la stimulation électrique délivrée par l'implant et les neurones auditifs encore fonctionnels chez l'individu. Parallèlement, des recherches similaires sont menées sur des modèles animaux pour comprendre les mécanismes moléculaires responsables des fibroses post-implantation. Nous cherchons à identifier des moyens pharmacologiques pour les bloquer et à prévenir la surdité associée à l'insertion du porte-électrode dans l'oreille interne.

La chirurgie robotisée : avancée pour la chirurgie d'implantation cochléaire

Thibault : En ce qui concerne l'implantation cochléaire, Montpellier est à juste titre reconnu comme un pionnier en France, étant le premier centre à avoir réalisé cette intervention sur un enfant. Vous avez brillamment poursuivi le travail du Pr. UZIEL. Nous savons que certaines chirurgies peuvent désormais être assistées par des robots. Pourriez-vous nous expliquer le déroulement de cette procédure et ses avantages par rapport à une chirurgie traditionnelle?

Frédéric : Actuellement, plusieurs possibilités s'offrent dans l'utilisation des robots pour l'implantation cochléaire : Certains robots peuvent réaliser le geste qui consiste à se substituer aux premiers temps opératoires de l’implantation cochléaire, consistant à aborder l’oreille de l’extérieur jusqu’à l’oreille interne,une procédure généralement manuelle. Ces robots peuvent réaliser cette tâche avec une précision remarquable, jusqu'à 0,3 mm, ce qui représente l'une des meilleures précisions obtenues avec des robots chirurgicaux et qui est parfaitement compatible à une utilisation clinique chez l'Homme. Cette approche nécessite un contrôle d'imagerie en temps réel pendant l'intervention chirurgicale, guidant le robot en se basant sur des images préalablement acquises. Parallèlement, d'autres types de robots sont conçus pour assister l'insertion du porte-électrode dans l'oreille interne, la partie active de l'implant qui délivre le courant électrique et stimule l'oreille interne. Ces robots sont chargés de maintenir le porte-électrode et de le déplacer de manière lente et contrôlée dans l'oreille interne, minimisant ainsi les risques de dommages pendant l'implantation.

Thibault : Combien de temps dure ce type de chirurgie?

Frédéric : Tout dépend de la situation, mais il est certain que si l'on opte pour une chirurgie entièrement robotisée, cela doublera le temps opératoire, passant ainsi de 2 heures à 4 heures.

Thibault : Quels sont les risques associés à cette chirurgie? Quel est le taux de réussite?

Frédéric :  En ce qui concerne l'implant cochléaire, il est important de noter qu'il s'agit d'une chirurgie pratiquée depuis environ trente ans, qui a considérablement évolué et qui est maintenant à un stade de maturité avancé. Le geste d'implantation cochléaire est maîtrisé par de nombreux centres, et tout chirurgien habitué à cette intervention rencontre très peu de complications. En effet, les complications sont extrêmement rares, de l'ordre de moins de 1 à 2%. En termes de réussite, cela dépend de la population cible : s'agit-il d'adultes devenus sourds ou d'enfants nés sourds ? Pour les adultes, les résultats sont généralement bons, avec environ 80% des patients capables de communiquer normalement dans des situations calmes sans assistance supplémentaire, ce qui représente une amélioration significative par rapport à leur état pré-opératoire. Pour les enfants, la situation est plus complexe et dépend de la cause de la surdité, qu'elle soit génétique ou liée à d'autres pathologies associées. Cependant, pour les enfants nés avec une surdité profonde qui ne peut être corrigée par des appareils auditifs, environ 9 sur 10 peuvent espérer communiquer de manière orale sans assistance supplémentaire à l'âge adulte, à condition qu'ils n'aient pas d'autres handicaps associés. De plus, ils peuvent suivre un cursus scolaire dans un environnement ordinaire, ce qui favorise leur intégration sociale et éducative.

Le rôle de l'audioprothésiste et les critères d'indications pour l'implantation cochléaire

Thibault : Quel rôle joue l'audioprothésiste ? A-t-il une influence dans les recommandations, le dépistage ou d'autres domaines?

Frédéric : L'audioprothésiste joue un rôle crucial dans le processus d'implantation, surtout pour les adultes qui ont généralement perdu leur audition progressivement, plutôt que subitement. Ils ont souvent utilisé des appareils auditifs auparavant. Ainsi, l'audioprothésiste travaille à fournir l'appareillage le plus adapté à chaque patient, mais aussi à détecter quand celui-ci n'est plus suffisant. À ce stade, il réfère le patient à un centre d'implant cochléaire pour réaliser un bilan pré-implant et savoir si un implant peut lui donner de meilleurs résultats que l’appareillage auditif.

Après l'implantation, le patient conserve souvent son appareil auditif sur l'oreille non implantée. L'audioprothésiste intervient alors pour ajuster les réglages et équilibrer l'audition entre les deux côtés.

Pour les enfants, le rôle de l'audioprothésiste est un peu plus complexe, car son intervention dépend du moment où survient la surdité. L’audioprothésiste est souvent le premier acteur dans le processus d'implantation car en effet, on n'envisage généralement pas l'implantation sans avoir tenté l'appareillage au préalable. Si les essais d'appareillage ne permettent pas un développement adéquat du langage chez l'enfant, l'audioprothésiste est en mesure de diriger rapidement le patient vers un centre d'implantation.

Thibault : Quels sont actuellement les critères d'indication pour une implantation cochléaire? Comment se déroule le processus d'évaluation pour déterminer si un patient est un bon candidat pour cette intervention?

Frédéric : Les critères d'indication varient en fonction de l'âge et de la situation de chaque individu. Pour les adultes, il existe des tests permettant de déterminer, une fois que le patient est appareillé, s'il est éligible à un implant cochléaire en fonction de son score. En général, si le score est en dessous d'un certain seuil, les chances de succès avec un implant sont meilleures qu'avec une prothèse auditive. Cette indication s'applique aux cas de surdités progressives bilatérales.

Une autre indication, plus récente, concerne les acouphènes unilatéraux invalidants. Il s'agit de personnes souffrant d'acouphènes sur une oreille avec une surdité sévère ou profonde et pour lesquelles les autres traitements ne sont pas efficaces. Dans ces cas-là, une implantation cochléaire peut être envisagée, guidée non pas par les performances auditives mais par le niveau de gêne lié aux acouphènes.

Le marché de l'audioprothèse, ses défis et ses opportunités

Thibault : En termes d'innovation, quels sont les défis pour le marché de l'audioprothèse?

Frédéric : L'un des défis des aides auditives aujourd'hui réside dans leur image et leur acceptation par la population. Les stéréotypes associés à ces appareils, souvent perçus comme volumineux, peu esthétiques, et parfois mal tolérés par les patients, persistent depuis longtemps. La première révolution consisterait donc à briser ces préjugés et ces codes, pour que les aides auditives soient perçues comme des dispositifs de santé ordinaires, à l'instar des lunettes. Il est crucial de dissocier ces dispositifs de toute connotation négative, ce qui faciliterait l'adoption de cette solution par les personnes concernées et éviterait tout retard dans leur prise en charge.

"Aussi, une prise en charge plus précoce permettrait de cibler également des personnes atteintes de surdité moins sévère."

Dans ce contexte, les avancées technologiques sont essentielles, car les appareils auditifs doivent offrir des performances optimales, notamment dans des situations auditives complexes telles que les environnements bruyants. Il est primordial que ces dispositifs apportent des bénéfices tangibles et visibles aux utilisateurs, dès les premiers stades de leur perte auditive, afin de favoriser leur adhésion à la prise par appareillage.

Thibault : Sur un versant marché maintenant, je trouvais intéressant d’avoir votre point de vue : En tant que professeur ORL et chef de l’équipe otologique, quel est votre regard sur l'évolution du marché au cours des 15 dernières années, et surtout, quelles sont vos projections pour les 15 prochaines années?

Frédéric : Effectivement, le dispositif du 100% santé a entraîné une véritable révolution en rendant l'accès à l'appareillage auditif beaucoup plus facile pour la majorité des Français. Cela a provoqué une augmentation significative du volume des ventes sur le marché, ce qui est bien accueilli. Cependant, il reste à voir si cette augmentation est un effet ponctuel ou si elle se maintiendra dans le temps. Cette question reste sans réponse certaine, car elle dépendra de divers facteurs tels que la qualité du dépistage et la sensibilisation de la population au port des aides auditives.

Actuellement, seulement environ 46% de la population malentendante candidate à l’appareillage auditif est équipée, ce qui laisse une marge de progression importante pour répondre aux besoin. Même si le marché ne connaît pas une croissance exponentielle, il est certain qu'il continuera à croître dans le futur, étant donné le nombre de personnes susceptibles d’avoir besoin d'une aide auditive.

Les enjeux de demain et les solutions face à la désertification médicale

Thibault : En examinant les projections concernant le nombre d'ORL sur le territoire pour les années à venir, nous constatons que de nombreux praticiens ont actuellement plus de 60 ans et seront bientôt à la retraite, tandis que le nombre de nouveaux diplômés ne sera pas suffisant. Quelle est votre opinion à ce sujet? Est-ce un défi majeur pour l'avenir, et quelles mesures peuvent être prises pour y remédier?

Frédéric : Effectivement, c'est un défi majeur, surtout sur le plan organisationnel. La diminution du nombre d'ORL et leur répartition inégale sur le territoire entraînent des zones médicalement sous-dotées où l'accès aux soins est complexe. Un autre facteur s'ajoute à cela : sur la génération d'ORL partant à la retraite, bon nombre d'entre eux avaient une moindre activité chirurgicale et constituaient la 1ère ligne de prise en charge des problèmes auditifs. La formation des ORL depuis 25 à 30 ans est davantage axée sur la chirurgie. De ce fait, les nouveaux diplômés sont moins enclins à s'orienter vers les aspects médicaux de la discipline, réduisant ainsi l'offre de soins dans le domaine de l'audition.

Cela signifie que les spécialistes de l'audition devront voir un nombre accru de patients et s'organiser en conséquence. Il est également essentiel de trouver des solutions pour les déserts médicaux, en permettant la prise en charge dans des zones reculées sans que les patients aient à se déplacer sur de longues distances pour une consultation relativement courte.

Pour relever ces défis, plusieurs stratégies sont envisagées. Tout d'abord, le déploiement d'assistants médicaux et de personnel de soutien permettra de gagner en efficacité et en productivité en secondant les médecins dans leur exercice. Aussi, l’essor de la télémédecine devrait également contribuer à répondre aux besoins des zones sous-dotées.

Les conseils du Pr. Venail aux entrepreneurs souhaitant s'installer

Thibault : Saviez-vous qu’Alliance Audition souhaite aider, par différents modèles, de franchise ou de co-actionnariat, les jeunes audioprothésistes arrivant sur le marché et même les plus expérimentés à se lancer? Ainsi, quels conseils souhaiteriez-vous leur livrer pour cette belle aventure?

Frédéric : Encore une fois, lorsqu'on observe les patients, c'est le relationnel humain qui arrive souvent en tête de leurs préoccupations. En ce sens, l'orientation des équipes et la formation du personnel vers une approche centrée sur l'humain et l'empathie revêtent une grande importance. À mon sens, l'aspect humain est ce qui attire les patients et les fidélise, car dans de nombreuses régions, les professionnels paramédicaux représentent l'un des seuls liens sociaux des personnes. Il est essentiel de préserver ce lien social. Enfin, il est crucial de ne pas négliger non plus l'aspect technique, de plus en plus prédominant avec les progrès des aides auditives et le développement de stratégies exploitant l'intelligence artificielle notamment, et tous nouveaux algorithmes innovants. Ces avancées techniques doivent également être prises en compte.

Thibault : Merci, cher professeur VENAIL, de m’avoir accordé un peu de votre temps pour cette interview.

Frédéric : Merci à toi, avec plaisir.

Article rédigé parThibault Esteves Da Torre.

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