L’audiométrie vocale dans le bruit est un test auditif incontournable de nos jours afin d’objectiver la gêne d’un patient dans un contexte sonore difficile et mesurer ses progrès grâce aux appareils auditifs. Malgré son importance, ce test auditif demeure largement sous-utilisé. Les raisons avancées par les audioprothésistes sont variées : certains estiment qu'il n'est pas nécessaire étant donné que leurs patients passent la majorité de leur temps dans des environnements calmes, d'autres invoquent un manque de temps, un investissement financier conséquent pour acquérir le matériel, ou encore une confusion quant au choix du test approprié à utiliser. Cet article se propose d'explorer l'intérêt et les spécificités de ces tests, ainsi que de fournir des conseils pratiques pour leur mise en œuvre efficace.

Qu’est ce qu’un test auditif dans le bruit?

Un test auditif dans le bruit, tel que l'audiométrie vocale dans le bruit, est une évaluation spécifique de l'audition qui simule des environnements sonores difficiles. Lors de ce test, le patient doit répéter ce qu’il entend (paroles, mots, phrases) dans un contexte de bruit. L'objectif est de mesurer sa capacité à comprendre la parole dans des conditions sonores difficiles, où le bruit ambiant peut interférer avec le message vocal. Ce type de test permet de quantifier la gêne ressentie dans des situations de la vie quotidienne, telles que les conversations dans des lieux publics ou les réunions sociales.

Pourquoi réaliser un test auditif dans le bruit?

L'écoute dans des environnements bruyants représente un défi supplémentaire pour les personnes ayant des difficultés auditives. Le bruit de fond peut masquer les sons importants et rendre la compréhension de la parole plus difficile. Cela tend à augmenter l’effort d’écoute, la fatigue et le risque d’isolement social. C'est pourquoi l'évaluation de l'audition dans ces conditions est cruciale pour comprendre pleinement les besoins auditifs des patients et adapter les solutions appropriées.

L'audiométrie vocale dans le bruit revêt une importance capitale dans l'évaluation de l'efficacité des appareils auditifs. En effet, ce test permet non seulement de déterminer la capacité du patient à comprendre la parole dans des environnements sonores complexes, mais également de tester différents réglages des appareils pour optimiser leur performance et s'assurer que la technologie choisie répond efficacement aux besoins.

Quels matériels sonores utilisés pour réaliser des tests auditifs dans le bruit ?

Il existe plusieurs façons de réaliser des tests auditifs dans le bruit et il peut parfois être difficile de savoir ce qu’il convient d’utiliser. Pour cela, il est essentiel de distinguer les particularités inhérentes à chacun des matériels vocaux et bruits disponibles.

Quel type de matériel vocal utilisé pour réaliser un test auditif dans le bruit?

Des logatomes aux phrases longues, il y en a pour tous les besoins ! Les logatomes et les pseudomots permettent une évaluation de la compréhension de la parole sur un versant analytique, sans recourir à la suppléance mentale.

Les mots monosyllabiques sont certainement un intermédiaire intéressant pour évaluer la compréhension de la parole sur un versant global, avec une influence faible de la suppléance mentale. Les phrases, bien que plus écologiques, font davantage appel à ce processus cognitif. Il est donc crucial de choisir le matériel vocal adapté à l'objectif de test.

Pour évaluer l'efficacité des appareils auditifs, les logatomes, pseudomots ou mots monosyllabiques semblent préférables. Pour une estimation de la qualité d'écoute dans un contexte plus réaliste, les phrases sont recommandées. En jouant sur leur longueurs (nombre de mots), on peut également engager d’autres processus d’ordre mnésique et attentionnel.

Quel type de bruit utilisé pour ces tests auditifs?

Les bruits sont de différentes natures: fluctuant, stationnaire, “simple-locuteur”, “multi-locuteur”, on peut les catégoriser en fonction de deux caractéristiques principales. Tout d’abord, leur stabilité dans le temps, et le type de masquage. Lorsque le niveau de bruit est trop important, la parole ne peut pas émerger. On parlera d'un masquage énergétique (comme lors d’un cocktail, en discothèque, ou près d’une soufflerie,  d’un moteur). Lors d'un repas entre amis à 4 ou 5 personnes, il n'est pas rare que deux conversations se croisent. Dans ce cas, il s'ajoute au masquage énergétique un masquage dit informationnel. Celui-ci est lié au fait que notre oreille se focalise sur les deux conversations. Elle se retrouve ainsi perturbée par deux flux d'informations concurrents. Ce dernier type de masquage met à contribution notre capacité auditive et nos facultés attentionnelles.

En général, l’utilisation d’un masquage informationnel introduit davantage de variabilité inter- et intra-individuelles. Pour cette raison, pour évaluer un gain prothétique, on préférera utiliser un bruit relativement stable et de nature énergétique (cocktail party). En revanche, pour évaluer l’amélioration dans un contexte plus réaliste, il est particulièrement intéressant d'utiliser des sons plus fluctuants, impliquant un masquage informationnel (comme un bruit à 4 locuteurs).

Quel protocole utilisé pour réaliser un bilan auditif dans le bruit?

Le principe fondamental consiste à émettre simultanément du bruit et de la parole. Mais, comment doit-on déterminer le niveau d’intensité et le Rapport Signal à Bruit (RSB) initial pour démarrer le test, ou encore, ajuster le RSB au cours du test? Fait-on varier l’intensité de la parole ou du bruit? Il se pose également la question du nombre de listes à faire passer pour avoir des résultats reproductibles. Deux approches sont plus largement utilisées à ce jour. Leur objectif est d'améliorer la stabilité et la reproductibilité des tests auditifs dans le bruit.

Les méthodes automatiques, telles que la Vocale Rapide dans le Bruit (VRB), impliquent de tester plusieurs listes avec des Rapports Signal à Bruit (RSB) fixes, de manière automatisée pour estimer un Seuil d'Intelligibilité dans le Bruit (SIB) - c'est-à-dire le RSB nécessaire pour obtenir 50 % de bonnes réponses. Ces méthodes sont souvent plus longues et présentent des limites en termes de reproductibilité.

En revanche, les méthodes adaptatives, telles que le SoNoise, le Fr-Matrix ou encore le Hint-5mn, ajustent le RSB en fonction des réponses du sujet testé. Elles permettent ainsi d'évaluer le SIB avec une précision accrue et de manière plus rapide.

Pourquoi certains tests auditifs dans le bruit sont normés?

L'arrêté en date du 14 novembre 2018 introduit une nouvelle condition de prescription d'appareillage ; une écart de plus de 3dB par rapport à la norme du test utilisé permet d’établir une ordonnance en vue d’une prise en charge auditive. Ainsi, il a fallu développer des tests et les normaliser.

Qu’est ce qu’une norme pour les tests auditifs dans le bruit?

Ces dernières années, la conception des normes a évolué. En 2022, la norme ISO 8253-3:2022 a introduit de nouveaux critères. Par exemple, les sujets testés doivent être âgés de 18 à 25 ans, avoir une audition normale (Perte Tonnelle Moyenne <10dB HL), être au nombre minimal de 30 et avoir le français comme langue maternelle. À ce jour, le seul test répondant à cette norme est leSoNoise.De plus, pour qu'un test auditif soit conforme aux exigences réglementaires, l'écart-type, qui mesure la variabilité interindividuelle, doit être inférieur à 1,5 dB. Ainsi, un écart par rapport à la norme de 2 écarts-types (3 dB) est considéré comme pathologique. 

Un autre aspect souvent négligé est l'effet d'apprentissage. En effet, lorsqu'on effectue un test pour la première fois, il faut du temps pour en comprendre le principe et se concentrer. Par conséquent, si le test est répété, les résultats s'améliorent. C'est pourquoi il est nécessaire que les protocoles de test incluent des listes d'entraînement avant le test (comme dans le cas du Fr-Matrix), et.ou des normes en fonction du nombre de passations (comme dans le cas du SoNoise).

Comment utiliser ces tests auditifs de manière optimale?

Lorsqu’on cherche à objectiver la gêne d’un patient dans le bruit, il faut pouvoir comparer son résultat à la norme du test choisi. Cela ne peut se faire que si le matériel utilisé et le protocole utilisé sont rigoureusement les mêmes que ceux utilisés pour établir la norme.

Quelle est l’influence du matériel utilisé sur la norme du test auditif?

En utilisant un même protocole de test,Jansen et al.ont mesuré les SIB obtenus avec deux matériels d’émission différents ; le haut parleur d’un téléphone et un casque large bande. Leurs résultats révèlent une écart de 5 dB entre les SIB mesurés.

L’utilisation d’un équipement différent de celui utilisé pour établir la norme engendre une variation de celle-ci qui peut être supérieure à 3dB ; valeur qui selon le décret, est une des conditions déterminant la possibilité de prescription. Cela tend à montrer le risque d’erreurs d’interprétation des résultats.

Quelle est l’influence de la configuration de passation sur la norme du test auditif?

La configuration d'une pièce et le positionnement des haut-parleurs ont un impact significatif sur la norme établie. À titre d’exemple, en 2018,Xavier Delercea établi une norme dans sa cabine, avec un résultat de -13 dB soit un écart de 6 dB avec la norme annoncée par le Fr-Matrix.

Prenons un sujet obtenant un SIB de -6 dB. Selon la norme du FR-Matrix le sujet est normal. Selon celle de X. Delerce, le résultat est pathologique (écart par à la norme serait de 7dB).

Quelle est l’influence du niveau d’intensité de la parole (ou du bruit) sur la norme du test auditif dans le bruit?

Souvent, nous nous intéressons aux résultats de nos patients à voix faible, modérée et forte. C’est éminemment intéressant mais dans le bruit, le comportement de notre oreille est différent. Le graphique ci-dessous montre la variation du SIB en fonction du niveau d’émission de la parole. Pour les normoentendants (n=44) ou les malentendants (n=14), les résultats montrent une certaine stabilité au-delà d’un niveau de présentation de 65dB SPL. En revanche, pour des niveaux inférieurs, le SIB tend à augmenter de 2,5 à 7dB. L’une des explications plausible réside dans la répartition des populations de fibres du nerf auditif mais c’est un autre sujet.

Quelle est l’influence du type de bruit sur la norme du test auditif dans le bruit?

En 2012,Jansen et al.ont mené une étude multicentrique comparant 3 tests auditifs dans le bruit. Sur le graphique ci-dessous, nous observons l'utilisation du FR-Matrix avec deux types de bruit : le bruit originel, stable et multi-locuteur (panel d'histogrammes 2), puis un bruit fluctuant, avec quatre locuteurs (panel d'histogrammes 4). Les résultats sont frappants. Dans sa configuration d'origine, le Seuil d'Intelligibilité dans le Bruit est d'environ -6 dB, tandis qu'avec le second bruit, il est d'environ -16 dB ; ce qui représente un écart de 10dB.

En conclusion, il semble préférable d'évaluer la gêne d’un patient en employant un test normé, utilisant une procédure adaptative diffusée à travers un casque. Il est crucial que le test soit réalisé dans des conditions identiques et avec le même équipement que ceux utilisés pour établir la norme. Dans le cas contraire, la variabilité induite entraînera des erreurs d'interprétation.

Quel test auditif dans le bruit utilisé pour réaliser une évaluation prothétique?

Hourra ! Plus besoin de normes, car le sujet devient son propre contrôle ! Il effectue le même test avec et sans appareil auditif. Cependant, il est recommandé d'utiliser des tests présentant une difficulté similaire et une bonne reproductibilité d'une liste ou d'une session à l'autre. Ainsi, les tests de mots ou de phrases avec des bruits stables et multi-locuteurs sont préférés. Les procédures adaptatives sembleraient également plus robustes.

La configuration de passation est également un aspect crucial. Généralement, nous émettons la parole face au patient, pour des raisons écologiques. Cependant, une question se pose : le bruit doit-il également être émis uniquement de face, ou sur tous les haut-parleurs ? Si l'objectif est d'évaluer un gain prothétique brut, une configuration avec la parole émise de face et le bruit diffusé par les haut-parleurs autour du patient est privilégiée. Par exemple, si l’installation comporte 5 haut-parleurs, le bruit est diffusé par ceux placés à -45°, +45°, -135° et 135°.

Nos bruits sont-ils réellement écologiques ?

Débarrassons-nous de l'illusion selon laquelle les bruits que nous utilisons sont écologiques. En réalité, le son émis par les haut-parleurs autour du patient est identique sur chaque haut-parleur. Or, dans la réalité, le son varie à chaque point de l'espace qui nous entoure, ce qui nous permet de percevoir le paysage sonore en trois dimensions. Bien que peu utilisés, il existe des enregistrements sonores conçus pour restituer cette scène sonore à travers nos haut-parleurs. Peut-être que cela sera généralisé dans le futur?

Les tests auditifs dans le bruit sont incontournables mais doivent être utilisés avec précaution en fonction de l’usage que l’on souhaite en faire.

Pour finir, un peu de teasing: démasquage binaural, test des surdités unilatérales, de beaux sujets qui auront bientôt notre attention.

Article rédigé parAntoine Lorenzi,Audioprothésiste et Docteur en Neurosciences.

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